Une
politique énergétique écologiquement bien
fondée est plus que jamais nécessaire et l'appui de ceux
qui inscrivent l'écologie sur leur gonfalon serait le bienvenu.
Malheureusement, les propos des cercles de gauche et verts ne
démontrent pas une très bonne compréhension des
problèmes liés à la situation
énergétique face au changement climatique. L'analyse
suivante tente de pallier ce défaut.
Le problème principal du changement climatique est
constitué par les émissions de CO2 provoquées
mondialement à 45% par la production d'électricité
des centrales à charbon, au mazout et au gaz naturel, le charbon
se taillant la part du lion. Ce ne sont pas les centrales
nucléaires, mais celles à charbon et au mazout (qui
produisent mondialement 40% resp. 7% de l'électricité)
que l'on devrait au plus vite remplacer par des installations exemptes
d'émissions de CO2.
En Suisse, la production d'énergie électrique par
énergie fossile est minime. Mais vu l'augmentation continue des
besoins en électricité, chaque hiver un manque
d'énergie se fait sentir. Et il se renforce d'année en
année. Le compenser par des centrales à gaz ou par
l'importation (lourde en CO2) de courant en provenance de l'Allemagne
détériorera sensiblement notre bilan CO2. Croire que l'on
pourra combler ce manque par des importations du nord d'énergie
d'origine éolienne frôle la légèreté;
tant pour des raisons techniques qu'économiques, compte tenu de
la pénurie d'énergie électrique et des besoins
croissants en Europe d'énergies sans CO2.
La demande mondiale en électricité doublera d'ici
à 2030 malgré l'augmentation remarquable de
l'efficacité d'utilisation. Les centrales à gaz
(quote-part 20%), nucléaires (15%) et hydrauliques (16%) (voir
graphique) pourront tout au plus maintenir leurs parts de
marché, bien que cela semble très difficile à
cause des réserves limitées de gaz naturel et d'uranium
(avec les réacteurs nucléaires de la troisième
génération) ainsi que du potentiel hydraulique tout aussi
limité. Affirmer que la séparation et le stockage
(séquestration) du CO2 seraient compatibles avec la protection
de l'environnement n'est, pour l'instant, pas concluant,
l'expérience manquant totalement. Les nouvelles énergies
renouvelables (quote-part 2% de l'électricité), en
particulier les énergies éolienne, solaire thermique et
photovoltaïque (dont les potentiels sont très grands),
ainsi que l'énergie géothermique peuvent et doivent donc
contribuer à la protection du climat et être
encouragées par des rétributions généreuses
(tarif d'achat préférentiel) ainsi qu'à l'aide de
taxes CO2. De plus, il est certainement utile que les forces du
marché (échange des droits d'émission) contribuent
à améliorer l'efficacité du secteur
énergétique dans le tiers-monde.
La biomasse, en tant que ressource énergétique, est
limitée et doit, en première ligne, être
utilisée pour les secteurs chaleur et carburants, le couplage
force chaleur pouvant
néanmoins donner localement une contribution électrique
non négligeable.
La Suisse et d'autres pays européens (la Suède, la
Norvège, la France et l'Islande) ainsi que l'Amérique du
Sud ont le grand avantage de disposer d'une économie
électrique pratiquement sans CO2. Ils sont bien avisés de
ne pas abandonner cette avance et de concentrer leurs efforts sur le
renouvellement technologique des domaines chaleur et mobilité,
dans le pays et à l'étranger. L'avance technologique
permettra d'ouvrir de nouveaux marchés en employant, ici aussi,
les échanges des droits d'émission (mais
accompagnés d'un prix de CO2 plus élevé que
l'actuel).
Il est d'abord essentiel de continuer à produire une
électricité exempte de CO2, donc par les énergies
hydraulique, nucléaire et renouvelable nouvelle, en
quantités suffisantes pour permettre des substitutions dans les
domaines de la chaleur et des carburants.
En Suisse, afin de conserver une économie électrique
autonome, la puissance des centrales nucléaires doit être
modérément augmentée et le photovoltaïque et
les autres énergies renouvelables généreusement
encouragées. L'efficacité, aussi importante qu'elle soit,
ne peut pas résoudre à elle seule les problèmes
pour les raisons qui suivent.
Dans le domaine de la chaleur (sans chaleur électrique,
quote-part globale 33%, en Suisse 50%), le standard
«minergie» et les collecteurs solaires ne suffisent pas
pour la restructuration si l'on tient compte des anciens
bâtiments. La pleine utilisation du bois et des déchets
(cogénération) est primordiale. Mais aussi importante est
la pompe à chaleur qui permet d'exploiter la chaleur ambiante et
la géothermie. Sans électricité suffisante et
exempte de CO2, ça ne marche pas.
En ce qui concerne les carburants (mondialement 22% des
émissions de CO2, Suisse environ 45%), des progrès sont
possibles à commencer par des voitures à basses
émissions (réduction du CO2 par km roulé,
technique hybride, biocarburants). A moyen terme, un changement de
paradigme est nécessaire. Seul le moteur électrique
hybride accompagné d'un moteur à combustion pour
améliorer l'autonomie (éventuellement alimenté par
des biocarburants) et plus tard, peut être, à piles
à combustible répond vraiment aux exigences de la
protection du climat. Des arguments économiques appuient ce
point de vue. Aujourd'hui déjà, le carburant
«courant à la prise» est, grâce au rendement
très supérieur du moteur électrique, nettement
meilleur marché que l'essence ou le diesel. Même le
photovoltaïque peut soutenir la comparaison comme le montre un
calcul fort simple. L'industrie automobile s'en apercevra tôt ou
tard. Le changement présuppose une production d'énergie
électrique suffisante et sans CO2.
Conclusions pour la Suisse? Nous sommes sur le bon chemin. En premier
lieu grâce aux forces hydrauliques et à l'énergie
nucléaire, nos émissions par unité du produit
intérieur brut sont les plus basses du monde. En condamnant
l'énergie nucléaire, nous rendons un mauvais service
à l'environnement et à la protection du climat. Le PS et
les Verts devraient mieux y réfléchir. Néanmoins,
l'énergie nucléaire ne peut se développer,
à moyen terme, que de façon très limitée.
L'avenir de l'économie électrique sera donc fortement
déterminé par l'énergie renouvelable nouvelle,
surtout éolienne et photovoltaïque. Certains milieux
industriels devraient y prêter plus attention.
Valentin Crastan est un ancien professeur de technique de
l'énergie, auteur de l'ouvrage «Les Réseaux
d'énergie électrique» (Hermes-Lavoisier). |